Article Tatouage Mag N°84 : Pierre-Gilles Romieu

Le 23/06/2015 | Mis à jour le 08/10/2015 Salons : Avignon, Tatoueur :

Pierre-Gilles est à la fois bassiste metal et tatoueur, au Graphicaderme d'Avignon. Le lien entre ces deux disciplines, le tatouage et la musique ? La discipline, justement ! La recette de l'artiste est la même pour ces deux activités : travail et obstination. « Ado, j'étais intéressé par l'image numérique, l'illustration, les jeux vidéo... J'ai décidé de me lancer dans ce domaine. De 18 à 22 ans, j'ai suivi les cours de l'école Emile Cohl à Lyon, comme Navette (de Viva Dolor, Lyon, ndlr). On étudiait l'illustration, les dessins animés, la BD, mais aussi des travaux plus académiques ». Un apprentissage rigoureux, qui demande beaucoup de travail à l'étudiant.

 

Une fois diplômé, Pierre-Gilles se lance dans une carrière d'illustrateur. Spécialiste de l'image numérique, il créé sites Internet, flyers et autres pochettes d'album pendant quatre ans. En parallèle, il se fait tatouer, un peu, « comme tout le monde », mais n'a pas spécialement dans l'idée de manier le dermographe. Sa rencontre avec le maître du portrait Stéphane Chaudesaigues, à la tête des studios Graphicaderme, va changer la donne. « Satomi et Lukas Zpira (performers de la scène bod mod, ndlr), dont j'avais réalisé les sites Blowyourmind et Hackingthefuture, m'ont présenté à Stéphane, qui cherchait quelqu'un pour faire le sien. J'ai accepté et ça nous a pris six mois... En échange, il m'a proposé de me former au tattoo. C'est devenu un ami, et c'est lui qui m'a appris et m'a lancé dans le milieu ». Un univers nouveau s'offre à Pierre-Gilles, un univers qui lui plaît mais auquel il faut s'adapter. « Le changement de support n'a pas été évident. La peau est difficile à appréhender, c'est un support beau, enrichissant. Il faut aussi respecter les doléances des clients, prendre en compte les notions de douleur, du caractère définitif... Car on n'a pas le droit à l'erreur. Il faut qu'à la fin, ça brille dans leur regard ! Mais on peut créer des images, et puis il y a le côté rock'n'roll qui m'a attiré. Même si j'avais déjà de bonnes bases en dessin, au début, j'ai fait comme tout le monde : encré des petits tattoos, travaillé mon noir et gris, ma couleur. »

 

L'artiste découvre aussi une nouvelle famille, notamment à l'occasion de voyages à l'étranger en tant que guest. « En allant à Montréal ou à Philadelphie, je me suis rendu compte que nous, les tatoueurs, sommes tous pareils. Dans la manière de vivre, de penser... On se comprend toujours, malgré les barrières de langage ! » Et pour faire partie du clan tattoo, pas nécessairement besoin d'avoir commencé à piquer ses copains dès l'école primaire. « Chacun arrive au tatouage à sa manière, il n'y a pas de route tracée. Je n'avais pas de passion dévorante pour le tatouage, c'était plus un changement de support pour moi, mais elle est venue après. Et puis, le vécu d'une personne, tout ce qu'elle a pu faire avant, apporte des choses au tatouage ».

 

En 2006, il intègre donc le Graphicaderme d'Orange à plein temps. Epaulé par son mentor David Coste, l'apprenti se perfectionne dans la vallée du Rhône, deux ans durant, tout en gardant cette patte qui lui est propre. « Mon style de dessin n'a pas beaucoup évolué, j'essaie d'y rester fidèle. Mais dès qu'on est en contact avec les autres tatoueurs, on évolue quand même forcément. Depuis trois ans, je travaille au Graphicaderme d'Avignon avec Steven et Gilbert, des super tatoueurs, et je baigne dans la culture tattoo. J'ai aussi eu la chance d'aller aux conventions de Paris, Belfort, Lyon, Toulouse, etc. C'est là qu'on découvre qui fait quoi, quels sont les styles... C'est comme dans d'autres domaines : il y a les gens qui créent un style, d'autres qui en poussent un à fond... »

 

A propos de conventions, on pourra retrouver notre artiste prochainement à Toulouse, Lyon, Belfort et Paris. Auparavant, il a déjà été invité dans des studios à Philadelphie (Body Graphics) ou Montréal (chez Oly Anger). « C'est ultra-motivant d'être guest. J'espère aller bientôt dans d'autres pays... On se cultive à mort, on apprend plein de techniques. Le tatouage, c'est une formation continue ! Malheureusement, en France, on n'a pas encore trop la culture des ''guests'', alors que dans d'autres pays, il y a un poste dans les shops pour les invités, il y en a un qui vient chaque mois, et ça tourne ».

 

Son style à lui a autant été façonné par les mangas (il est notamment fan de Katsuhiro Ōtomo, l'auteur d'Akira) que par les peintres classiques ou les jeux vidéo comme Super Mario, mais aussi les illustrations médicales de son père, médecin. « Toutes ces influences se mélangent pour être ré-utilisées ensuite, pour donner quelque chose en corrélation avec moi, explique le tatoueur. En ce moment, mon credo, c'est la ''déconstruction'', avec de la bizarrerie, de l'étrange, des personnages décousus, en kit, qui tombent en morceaux... Une de mes marottes, c'est la vie en kit ! Ce n'est pas malsain, mais plutôt mélancolique ». Et pas forcément sombre : Pierre-Gilles dit préférer la couleur, qui fait « ressentir plus de choses », au noir et gris, qu'il affectionne tout de même aussi.

 

Avec son univers graphique éloigné de l'imagerie traditionnelle du tatouage, l'artiste détonne. « Bien sûr, je préfère faire du custom (des pièces créées sur mesure pour les clients, ndlr), mais ce n'est malheureusement pas possible de ne faire que ça. Pour élaborer un projet, je demande à la personne quels thèmes, quelles ambiances l'intéressent, puis on fait le tour de mon book, afin qu'elle me dise ce qu'elle aime ou pas. Ensuite, je ''filtre'' les idées. Evidemment, c'est impossible d'avoir le rendu exact de ce qu'elle avait en tête. Mais on s'en approche de très près ! »

 

Si Pierre-Gilles a son style bien à lui, il n'en apprécie pas moins des artistes aux genres très différents, comme, entre autres, Jesse Smith, expert de la couleur, ou les génies du portrait Robert Hernandez et Joshua Carlton. Mais aussi des artistes aux styles plus particuliers, « qui poussent leur délire à fond », comme Kelly Doty ou Navette. « Ces artistes-là foutent des claques en permanence. Rien qu'en les regardant cinq minutes, on apprend beaucoup ».

 

Pierre-Gilles, lui, reste concentré sur ce qu'il sait faire de mieux et ne se lancerait pas, par exemple, dans l'élaboration d'un portrait hyper-réaliste. « On ne peut pas savoir tout faire ! Il faut savoir dire : ''Non, ça, je ne sais pas faire''. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas de copier : il faut ajouter sa personnalité. Ce qui est important, c'est le dessin, sa manière personnelle de le faire. Ce n'est pas un exercice de style, il faut s'approprier les idées des clients afin de raconter quelque chose, d'interpeller grâce à l'image. J'essaie de travailler là-dessus, de creuser les idées avant le tattoo. Une illustration, un tatouage, c'est puissant, ça reste sur les gens toute leur vie. Je me considère plus comme un artisan que comme un artiste, car je dois respecter le désir des autres. »

 

Et Pierre-Gilles, pas mécontent de sa reconversion, de conclure : « On fait un des plus beaux métiers du monde. On rencontre des tas de gens intéressants, on apprend tous les jours, et on a – ce qui est très rare – de la reconnaissance. J'ai vraiment de la chance de faire ce métier et d'avoir pu rencontrer tous les tatoueurs talentueux qui m'ont aidé jusque là. En plus, le tatouage est un domaine qui évolue constamment, les clients évoluent aussi, il y a de plus en plus de bons artistes... Nous sommes encore dans l'âge d'or du tatouage ! »

 

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