Tatouage Magazine n°2 : portrait de Stéphane Chaudesaigues

Le 10/10/2014 | Mis à jour le 09/10/2015 Salons : Avignon, Chaudes-AiguesTatoueur : Stéphane Chaudesaigues

Impressionnant, dérangeant, bouleversant, étouffant… Le boulot de Stéphane d’Avignon, ne laisse personne indifférent. Sans concession, ses tatouages font souvent dans l’extrême et sont mêmes parvenus à surprendre l’Amérique qui croyait avoir tout vu. Car, outre un superbe travail des couleurs, il présente des thèmes peu ordinaires.

Par Pierre-Hervé Vérant. Photo auteur et collection privée.

 

Posée à côté du magnétoscope, la vidéo de « tueurs nés » débarque au secours de mes neurones mis à mal par la chaleur étouffante qui règne à Avignon. La simple évocation de « Natural Born Killers » suffit à me remettre sur les rails, perdu que j’étais, perplexe face à un personnage trop speed, plein de contradictions et qu’on ne sait jamais par quel bout prendre.

Cette référence au film d’Oliver Stone vous permettra de mieux cerner Stéphane Chaudesaigues. Toujours accompagné dans sa solitude en permanence sur la brèche mais capable de prendre beaucoup de recul, il semble avoir choisi de tatouer plutôt que de flinguer, avec la même volonté d’exister dans un monde où il n’aurait pas sa place. Une sorte de fuite en avant ou la  peau remplacerait le bitume des highways, ou la grosse Cadillac carburerait au pigment plutôt qu’au sans plomb, ou la folie meurtrière se transformerait en délire artistique, ou la machine à piquer ferait autant de bruit qu’un 38 à canon court.

Le boulot de Stéphane porte les stigmates de cette violence, et c’est d’ailleurs à ce niveau qu’on lui trouve le plus de contradicteurs.

Chacun s’accorde à reconnaître son indéniable talent, mais beaucoup sont gênés par les thèmes abordés. Lorsqu’il s’implique personnellement dans le motif, les tatouages de Stéphane sont oppressants au point de mettre mal à l’aise les âmes sensibles.

Les amateurs de peinture ne s’étonneront alors pas d’apprendre qu’il est un admirateur d’Edouard Munch, dont le cri occupe un mur du studio de la Place Pignotte à Avignon.

Le Caravage, des on vrai nom Michelangelo Merisi, compte également au nombre de ses influences, avec l’utilisation de contrastes violents qui accentuent le réalisme.

« Je suis incapable de définir mon style. Il paraît pourtant qu’on reconnaît facilement mon travail et mon tatouage », révèle Stéphane, conscient cependant que son boulot est dominé par une vision ténébreuse du monde.

« Il faut osé montrer qui on est. L’important, c’est l’expression,  l’émotion », poursuit il, non sans préciser qu’il a attendu 1991 pour devenir Stéphane Chaudesaigues en se plongeant dans la peinture. Avant cela, il  estime n’avoir été qu’un tatoueur quelconque. Il vous parle de Velasquez, Murillo, David, Michel-Ange, Füssli, Géricault, Delacroix, du musée du Louvres et des ses balades dans le parc du Château de Versailles lorsqu’il était môme. C’est à l’âge de 19 ans que Stéphane quitte les Yvelines, direction Avignon, pour y ouvrir le studio baptisé Graphicaderme : « Je suis venu là au pif, également pour me rapprocher de mon frangin, installé dans le sud, Avignon est en quelque sorte la plaque tournante, géographiquement parlant. »

Onze ans plus tard, Mister Chaudesaigues, jouit d’une belle réputation, passe sa vie entre la France et les  Etats-Unis, peut se permettre de consacrer de longues périodes à ce qu’il appelle des séries explorant un genre, une technique, un thème avec une liberté d’artiste. Après le fœtus, le suicide, l’oxygène, le tatouage, Stéphane compte aujourd’hui aborder une série qui s’appellera « corps à corps » ou « corps perdu » : « J’aimerais ainsi traduire la détresse humaine, il s’agira de personnages assez maigres, s’accrochant sur des parties du corps, très réalistes en noir et blanc. J’ai également l’intention de travailler des fleurs pour jouer avec les couleurs. »

Né en 1968, Stéphane trempe en fait dans le tatouage depuis 16 bonnes années : « J’ai touché ma première machine à 18 ans mais, avant cela, j’avais déjà commencé à me piquer des  trucs bidons. Mon frère et mon père étaient eux-mêmes tatoués, ça a dut y faire. Un jour, ma mère a découvert un de mes tatouages pourris, sur le bras, que j’avais encré n’importe comment. J’ai réussi à lui faire avaler que c’était une trace de cambouis : elle m’a demandé d’aller me laver, d’enlever cette crasse… j’ai tout essayé, de l’éponge au papier de verre en passant par la lame de rasoir, en vain ! Bien sûr, elle a pigé que je ne m’étais pas fait ça en mettant les mains dans un moteur j’ai pris une raclée. C’est à ce moment que j’ai compris que mon corps  n’appartenait qu’à moi et à personne d’autre. »

Sans avoir suivi d’apprentissage, Stéphane avoue avoir fait n’importe quoi, avoir commis les pires erreurs, avoir pris tout à l’envers. Seul son frère Patrick, qui lui aussi deviendra tatoueur par la suite (il officie aujourd’hui à Orange), vient à son secours en lui faisant découvrir les grands peintres qui l’a eu la chance d’étudier. La rencontre capitale date de 1989 : de passage chez Bébert d’Annecy, à qui il confie sa peau, notre homme tombe sur Claude Ponthieu. Ce personnage, sorte de sous-marin du monde du tatouage, qui, aujourd’hui encore aide de jeunes tatoueurs, lui balance que son travail n’est « que de la merde ». « Il m’a laissé réfléchir avant d’entamer une correspondance, puis une relation d’amitié. Il m’a beaucoup apporté », avoue Stéphane.

Il n’oublie pas de nous confier également que « voir le boulot de Tin-tin, mesurer son investissement personnel, m’a indiqué la voie à suivre. » La reconnaissance arrivera avec notamment, une manchette prétorienne, interprétation de Frazetta, et l’accueil que lui réserve les USA où il débarque pour la première fois en 92 à l’occasion d’une convention dans le New Jersey. « J’y suis allé avec Francky à qui j’avais encré un dos avec un biker, Jim Morrison et Janis Joplin. Il faut bien réaliser que les ricains on tout fait, tout vu, qu’ils ont de grands noms de tatoueurs, de grosses conventions… et j’arrive avec quelque chose de nouveau, de différent, qui ne correspond à aucun de leur style. J’ai crée la surprise. En plus, je faisais très jeune », raconte Stéphane.

Cette aventure outre-Atlantique, correspond également à l’avènement des Paul Booth, Jack Rudy ou encore Brian Everett. Stéphane Chaudesaigues profite de cette nouvelle vague qui modifie la donne du tatouage.

Les observateurs sont bien obligés de modifier leur critère, d’accepter qu’une encre puisse être originale sans pour autant être marginale. Bref, on ne peut plus ignorer qu’une ère moderne s’affirme et les petits nouveaux bourrés de talent mérite autant d’attention que les vieux briscards, même si leur travail n’a plus grand chose à voir avec le boulot de papa !

Mais l’aventure, justement, à bien failli tourner court. Le 12 mai 1992, Wesley, l’un des ses 4 enfants, tombe gravement malade. « Terminé le tatouage, terminé la vie, je n’avais plus qu’une chose en tête : qu’il s’en sorte, » lâche Stéphane qui n’aura remis le couvert que 2 ans plus tard. En 94, il rebranche ses machines et se lance à corps perdu dans une production des plus volumineuse. Il enchaîne les conventions américaines ou les boss de la National Tattoo Association (NTA) lui propose de s’installer avec eux, à Philadelphie.

Par peur de se faire bouffer tellement le coup était gros, Stéphane décline l’offre. A Tucson en 96, « la bande à Chaudesaigues » crée l’événement : Ils ne sont pas moins de 60 ! Alors que les français se font rares dans les conventions US, le débarquement impressionne. Stéphane a passé plusieurs mois à organiser tout ça : négocier les billets d’avion, terminer les boulots en cours, motiver les frileux… Une débauche d’énergie qui va lui permettre de battre les américains sur leur propre terrain : la démesure. En avril dernier, à Philadelphie, le patron de Graphicaderme fait carton plein et revient avec une malle bourrée de trophées : meilleur tatoueur, meilleur noir et blanc, best of show, best of convention, meilleur dos, meilleur petite pièce, la totale. Stéphane partage maintenant son temps entre Avignon et les states. Il a finalement succombé aux appels de la NTA et bosse régulièrement dans le studio Bodygraphics de Philadelphie.

Remarquable coïncidence, la ville de Pennsylvanie n’est autre que l’endroit ou a été signé la déclaration d’indépendance. « Là-bas, tout est différent, je me souviens d’un de mes premiers séjours dans cette ville : j’avais emmené ma  femme (ndlr : Chantal, canadienne, qui partage sa vie depuis deux ans), dans un top resto. En France, à ce genre de table, les tattoos sont plutôt mal vus et là, c’est la serveuse qui me branche tatouage. Elle était encrée de partout ! C’est véritablement entré dans les mœurs américaines. Aux USA je n’ai aucun mal à trouver de la peau. Il y a plein de barjos prêts à te donner leur dos. Je peux bosser et on me fout la paix », précise celui qui s’estime aujourd’hui autant français que ricain.

Durant les séjours de Stéphane chez l’Oncle Sam, le studio d’Avignon reste entre les mains de Gilbert Desménard tandis que Graphicaderme II (l’ancienne boutique de Miss Pic) à Nîmes, constitue le territoire de Pascal et d’Alex, ajouté à cela le pote Ludo, installé sous l’enseigne House of Pain à Nice, et Thierry qui navigue entre les deux boutique avec son matos de piercing. Une vraie smala ! Mais aussi une sorte de famille sûrement très utile à l’équilibre d’un homme capable de vous dire qu’il ne veut plus avoir d’ami, osant avoué qu’il est hyper sensible malgré ses gros bras. «  Sincèrement si je pouvais m’arrêter maintenant je le ferai. Mais il me reste tellement à faire et puis j’ai ça dans la peau », confie Stéphane.

Son boulot lui prend la tête, dans tous les sens du terme : on peut réellement parler de démarche artistique et cela implique de sévères remises en question, des périodes de doutes, une dépense intellectuelle et physique. « Il y a plein de choses à prendre en compte, je dois également penser à la personne que je pique : comment ne pas flipper lorsque tu risques d’enfermer quelqu’un dans une image qui ne lui convient pas ? Un tatouage n’est vraiment pas quelque chose d’anecdotique, surtout quand il s’agit d’un dos ou d’un bras complet.

Ca change forcément la vie d’un mec. Sans parler de la nécessité de le soutenir, de le motiver. Il ne faut pas se leurrer : un beau dos qui réclame 60 heures de boulot ne se fait pas sans douleur. Et si ton client de dit qu’il n’en peur plus, qu’il en a trop bavé, alors que tu n’es qu’à la moitié du chemin… Quand ça ne va pas, quand moi aussi je craque, je fais du portrait. Cela me permet de prendre un peu de recul, de faire descendre  la pression. Je ne veux pas me laisser envahir par des pulsions. Je prends le temps », confesse Stéphane.

Si la notoriété de Stéphane est imputable à ses grandes pièces très personnelles, il ne rechigne pas à exécuter des tatouages moins impressionnants et sûrement, plus abordables pour une clientèle que l’on pourrait qualifier de « normale ».

Outre le portrait, genre qui lui tient à  cœur, Stéphane ne refuse pas un retour à l’ordinaire du tatoueur : « les petites pièces demandent autant d’intérêt que les gros boulots. Et puis, certaines petites pièces ne méritent d’être que des petites pièces ! Qui plus est elles me permettent de tatoueur lorsque je n’ai rien d’autre à faire. Je m’y mets pour le plaisir, pour tester des trucs, pour explorer et pour gagner de l’argent évidemment ! », reconnaît Stéphane.

Lors de certaines conventions outre-Atlantique, on a pu le voir empoigner sa machine en début d’après-midi et ne relever le pied de la pédale qu’à 6h du matin. Avec un tel régime, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il prend le plus grand soin de sa condition physique. Ancien boxeur, il concentre aujourd’hui son énergie sur la fonte qu’il soulève plusieurs fois par semaine.

Un bon moyen également d’évacuer le stress pour un type qui semble être en permanence branché sur courant alternatif. Toujours à fond, dormant peu, animé par on ne sait quelle énergie invisible, Stéphane Chaudesaigues est tourmenté, mais ça avec les photos que nous publions de son boulot, vous vous en seriez douté… Si il fallait encore forcer le trait, nous allons, à sa demande, lui laisser le soin de conclure : « Merci à celui qui, tapi dans l’ombre de ma folie, tel un fruit trop mûr, voir presque comme pourri, laissa germer en moi l’idée d’être enfin celui que je suis ».

 

Cet article date un peu, une belle initiative des éditions larivière.

 

Nous n’avions pas grand ‘chose en France, pour communiquer sur notre art et surtout sur les artistes tatoueurs.

Tin-tin avait ouvert le bal, avec ce qui pouvait sembler un coup d’essai, numéro un, tout simplement.

Le tatouage a énormément évolué depuis ces dernières années, nombre d’artistes ont vu le jour depuis, je reste impressionné par la qualité du travail à l’échelle mondiale, mais aussi très fier, quand je constate que notre si petit pays, regorge de jeunes talents, qui bien souvent ont pu tracer de nouvelles orientations artistique, à l’échelle mondiale.

Une industrie du tattoo, s’est développée, pas toujours de la meilleure façon d’ailleurs et les médias s’emparent, de ce qui leurs semblent être porteur en terme de communication.

Nous véhiculons une image forte et lourde de sens, en fonction de nos choix et de notre détermination a vivre de notre, et pour notre passion.

Dans un monde où l’on préfère jeter, plutôt que de réparer, nous ne pouvons pas faire semblant, nous autres, avec nos tatouages.

Nous avons fait des choix, nos choix, ceux de vivre en harmonie avec notre passion, et de l’assumer.

Donc, juste un message que je porte, pour la toute jeune génération, tout ne se vend pas.

Les médias nous exploitent et pour la plupart se moquent du tatouage pour ne pas dire qu’on leur fait pitié.

Mais dans une société en manque de repère, nous apparaissons comme porteur et, susceptibles de véhiculer, la capacité à nous engager, à faire les bons choix.

Du tattoo on en voit partout…

Sur toutes les pubs.

Une pensée quand même à nos anciens, ceux que l’ont montraient du doigt comme étant des déchets ou rebus de la société.

Ces marginaux, ou cas sociaux, délinquants ou repris de justice.

Ils nous ont montrés la voie, sans même le savoir bien sûr.

Mais ils étaient là.

Par contre dès la fin des années 80, en France, des tatoueurs ont travaillé pour faire reconnaître notre art, et le développer afin de le faire reconnaître, comme étant moins, sulfureux.

Un certain décalage s’opère aujourd’hui, avec une vague presque trop artistique et aseptisée à mon goût.

Rien n’arrive pour rien, et surtout rien n’est gratuit.

Je me suis investi dans mon travail et comme le retrace ce papier, en faisant nombre d’erreurs.

J’avais certainement  à l’époque une vision, plus artistique de ma démarche, concernant mes recherches sur le tatouage, ce qui pouvait déjà sembler être en décalage.

Mais aujourd’hui ça va mieux !!

Et pour parler d’aujourd’hui, j’aimerais mettre l’accent sur un point précis.

Je ne souhaite pas faire de politique et encore moins de la propagande.

Mais nous avons, vous avez un syndicat qui essaye de son mieux de fédérer les professionnels, artistes ou pas.

J’ai souvent entendu différentes opinions, en ce qui concerne le représentant de cette association.

Tin-tin est le président, et il en faut un.

Président il ne le restera peut être pas. Le fait qu’il puisse le rester ne me dérange pas  car il ne  faut pas oublier le principal, nous avons besoin d’être solidaires et défendus.

Il n’y a rien, pour le moment qui  puisse mieux nous défendre, que le SNAT.

 

J’aimerais vous aider à prendre conscience, (pour les professionnels), de l’importance d’être solidaires malgré nos différences et nos querelles.

Le gouvernent est une machine, qui peut parfois, être une réelle menace pour les minorités, si elles ne sont pas liées et unies.

Il est temps d’œuvrer tous ensemble, pour une cause, notre cause, pour préserver nos valeurs, nos libertés, nos droits et nos choix de vies.

Nous avons tous en commun, l’amour du tatouage.

Le SNAT n’est sans doute pas le rempart absolu, mais il est là, des hommes et des femmes se battent, sans compter les heures et luttent pour nous défendre, depuis de longues années.

Nous jouissons tous d’un meilleur statut, au quotidien et dans notre société, je ne souhaite pas renoncer aux fruits de toutes ces années de travail, sous prétexte que demain, nous puissions apparaître, de nouveaux comme un danger, pour la société.

Je vous invite à méditer et à rejoindre, la seule association susceptible de nous défendre.

Le SNAT.

Rendons hommage à nos anciens, il est de notre devoir de faire évoluer et de protéger l’art du tatouage, mais de nous protéger également, ensemble.

Respectueusement.

Stéphane Chaudesaigues.

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