Inked n°1 : Stéphane Chaudesaigues, le tatouage à Paris et à Avignon
Le 04/02/2015 | Mis à jour le 08/10/2015 Salons : Avignon, Chaudes-AiguesTatoueur : Stéphane Chaudesaigues
Dans son costard moitié dandy, moitié voyou, Stéphane Chaudesaigues y va cash : «j’ai débuté, je n’avais pas de tunes, on crevait la dalle, je tatouais avec mon môme entre les pattes». «Ca fait un peu Zola», ironise-il «mais c’est avec le tattoo que j’ai pu remplir le frigo. J’ai quarante-trois ans aujourd’hui et je suis fier de m’être sorti de ma condition sociale d’origine grâce au tattoo».
Flash-back. Fin des seventies. Une cité dans cette zone qui cerne Paris et qu’on appelle déjà la banlieue. Stéphane Chaudesaigues grandit là, dans ces blocs où envisager l’avenir revient à se cogner contre un mur. Il n’y a pas grand-chose d’autre que le sport pour échapper à sa condition, pour s’évader de la cité. Avec un pote, boxeur pro, la boule d’énergie qu’est toujours Stéphane s’essaye au noble art. Mais, trop lourd, à l’époque, pour boxer à un haut niveau, il doit passer à autre chose. Le papa, le grand frangin sont tatoués et ça captive Stéphane, qui, précoce et au risque de fâcher toute rouge sa maman, se pique lui-même, à l’arrache, à… 11 ans. Ces tatouages plus symboliques qu’artistiques, signes distinctifs d’appartenance à la marge, cette «culture de loubard» le fascinent. Tout ce que trimballe le mot de tatoueur aussi. Et bien qu’il ne sache rien de ce métier, Stéphane Chaudesaigues se lance. À l’adolescence. Avec de bonnes vieilles aiguilles de couturières trempées dans l’encre et son propre corps comme premier client.
Difficile à l’époque de dégotter des infos sur les techniques de tatouage. Les tatoueurs se font rares en France. Stéphane glane quand même, chez les anciens, quelques petits secrets. Et il traîne les musées comme celui du Louvres, pas très loin de son atelier parisien d’aujourd’hui. Et se plonge dans les bouquins, dévore tout ce qui lui tombe sous la main pour découvrir les différentes techniques de dessin et de peinture. Un apprentissage qui lui bouffe tout son temps et son énergie. Mais qui paye. Stéphane Chaudesaigues assimile, tout, des sanguines au crayon en passant par l’aquarelle, l’huile, le fusain. Une attirance pour la technique intacte, aujourd’hui encore, chez le tatoueur : «le lavis ? Rien d’autre qu’une encre diluée ! C’est la technique que les tatoueurs utilisent pour faire des gris différents ; il te suffit d’avoir un noir, un gris foncé, un gris clair, la couleur de la peau éventuellement et un peu de blanc pour faire les hautes lumières et tu as gagné». «Même histoire avec le crayon» poursuit le toujours speed Stéphane Chaudesaigues, «tu pars d’un crayon très gras genre 8B pour finir avec un HB et un 2H et t’es le roi du couscous !».
Une soif d’apprendre, donc, phénoménale. Et toujours l’envie de faire aussi bien sinon mieux que les autres «À l’époque» se remémore-il «tout le monde tatouait avec des gros traits qui diffusaient. Donc, dès que quelqu’un faisait un tatouage avec des traits fins comme des cheveux… Je me souviens d’un type qui traînait aux Puces de Clignancourt, sa tête de loup faite avec une aiguille suffisait pour reconnaître le gars qui l’avait réalisé comme un véritable artiste tatoueur». Artiste, le mot est lâché. Stéphane en est un. Il en a le talent, l’extrême sensibilité. Et une créativité qui ne se limite pas au tattoo même si c’est pour lui «un peu plus que le simple fait d’imaginer un dessin et de l’effectuer ensuite sur la peau de quelqu’un». Photos, toiles, dessins, Stéphane Chaudesaigues touche à tout jusqu’au design d’une classieuse paire de Richelieu pour le célèbre chausseur John Lobb.
Parmi les rares tatoueurs français de ces eighties, quelques-uns vont marquer Stéphane : Alan à Marseille, Tin-Tin à Paris, Bébert à Annecy ou bien encore le regretté Joe Marina de Nantes, un des pionniers du réalisme. Un style que Stéphane Chaudesaigues va faire sien. «Je pense que j’ai besoin d’être rassuré en essayant de faire un nez qui ressemble à un nez» rigole-il dans l’épatante biographie qu’il livre sur son site internet. L’étiquette, presque impossible à décoller, du nom qui en devient par la même une marque de fabrique, c’est réalisme (même s’il s’échappe parfois – quelques-uns de ses dos en témoignent vers le sur… réalisme) avec une très nette prédilection pour le portrait, découvert «en en voyant passer un, fait par un Américain ; je me suis dit : on va essayer !».
Comme à son habitude, Stéphane Chaudesaigues va faire mieux qu’essayer. Et bluffer jusqu’à ses influences américaines (Shane O’Neill, Jack Rudy, Tim et James Kern, Kari Barba, Bernie Luther, Mike Devries, Joe Capiobianco ou bien encore Bill Funk et sa femme Anna Peige qui l’invitent régulièrement à tatouer chez Body Graphiks à Philadelphie) en remportant un prix, dès 1993, dans une convention américaine où les Européens en général et les Français en particulier passent encore complètement inaperçus.
Parce que fort de son background d’autodidacte et de ses perpétuelles remises en question, Stéphane possède ses propres techniques comme celle du gris coloré, mise au point il y a quelques années, notamment avec un portrait de Marcel Cerdan (la boxe toujours !) ; des noirs plus ou moins dilués qui permettent de gagner en profondeur, en luminosité, en réalisme. Même principe de dilution pour ses effets sépia qui rappellent les photos d’avant. Photo ? Réalisme ? Stéphane ne récuse aucun de ces termes, en fan des célèbres studios Harcourt où, depuis 1934, tout ce que le monde a produit de créatif s’est fait tirer le portrait, en noir et blanc : de Marcel Cerdan (naturellement) à Dali, de Cocteau à Gabin. Gabin. Oui, celui de La Bête Humaine, film de Jean Renoir d’après le bouquin de Zola. La Bête Humaine comme l’enseigne de l’atelier que Stéphane Chaudesaigues a ouvert à Paris en 2006, à l’ombre de Beaubourg, à l’orée du quartier du Marais.
Ce sud, il y reste pourtant attaché. Sa famille (peut-être, pourrait-on même écrire, sa tribu) y est installée. Dans le tatouage. Une family affair, chez les Chaudesaigues, le tattoo. Le frère aîné (de six ans), Patrick, pique à Limoges et à Brive-la-Gaillarde et fabrique des machines à tatouer. Ses deux filles, Cindy et Sabrina ainsi que son fils Julien sont, pareillement, tatoueurs. Steven, le fils de Stéphane qui traînait dans les pattes de son père au début de l’histoire, voulait tatouer dès l’âge de 5 ans. Il s’y est collé à 16 et, à aujourd’hui 24 ans, bosse à Avignon. «Très fier du parcours» de Steven, il livre à son sujet ce qui ressemble quand même pas mal à une parfaite définition du métier de tatoueur : «mon fils porte deux casquettes. La première pourrait être celle de l’artisan puisque tu vas voir un tatoueur pour que le travail soit fait dans les règles de l’art, exactement comme tu emmènes tes chaussures chez un bon cordonnier. Steven connaît son métier et respecte le client dans le cadre d’une prestation de services. Ensuite, il essaye de développer de façon plus personnelle ce que l’on peut appeler un style». La famille, ça lui tient à coeur à Stéphane Chaudesaigues. Vraiment. «Ma réussite ne tient pas simplement au fait d’avoir plein de boutiques, mais plutôt d’avoir pu élever mes six enfants dans de bonnes conditions, en tout cas, meilleures que celles dans lesquelles j’ai grandi».
Avec aujourd’hui six salons (sur les douze ouverts il y a quelques années), sous l’enseigne Graphicaderme à Valence, Nîmes, Orange, Avignon, Vaison-la-Romaine et La Bête Humaine-Atelier 168 à Paris, Chaudesaigues est un nom qui pèse dans le monde français du tatouage. Un hexagone sur lequel Stéphane a son opinion : «pour un si petit pays, il semble qu’il y ait une palette d’artistes très diversifiée, beaucoup de styles et beaucoup d’écoles représentées ; ce qui rend le paysage français du tattoo extraordinaire». «On a quand même un petit côté conservateur qui nous pénalise» nuance-t-il «mais même par rapport aux Anglo-Saxons, je n’ai pas honte d’être Français». Un Français qui continue à voir ailleurs, à participer chaque année au californien Ink’n’Iron : «les Ricains ont eut une grosse poussée ces dernières années en matière de tatouages réalistes et de portraits, mais il faut aussi regarder du côté des pays de l’Europe de l’Est qui possède des artistes vraiment excellents ; c’est du grand, du lourd, et ils sont jeunes».
Une jeune génération avec laquelle pourtant, Stéphane Chaudesaigues n’est pas toujours très tendre. Avec ce franc-parler qui est aussi sa marque de fabrique, Stéphane n’hésite pas à balancer : «Il y a quelque temps, dans les bonnes familles, si on ne savait pas trop quoi faire du rejeton, on le casait comme poète ou écrivain… aujourd’hui, on en fait un tatoueur, parce que c’est l’artiste, le rebelle, parce que ça marche et que ça s’inscrit bien dans la société actuelle». Inutile de préciser que cette tendance dans le monde du tattoo n’emballe pas plus que ça Stéphane Chaudesaigues…
Ce self-made-man comme l’écriraient ses potes ricains est-il donc définitivement installé ? Pas sûr, Stéphane Chaudesaigues reste, pour reprendre une de ses expressions favorites, un «écorché vif ».
—François Chauvin
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